Cluny, le temps du souvenir et l’amorce des commémorations
Après l’effervescence révolutionnaire, et le grand mouvement destiné à balayer les restes de l’Ancien Régime, puis l’inventaire des ruines et les débuts de la préservation du patrimoine dès le milieu du XIXe siècle, vient le temps de la recherche de la mémoire perdue. C’est sur cette connaissance retrouvée que va s’appuyer la naissance des commémorations du XXe siècle.
En novembre 1849, l’Académie de Mâcon ouvre le bal en lançant un concours sur « l’influence de l’abbaye de Cluny sous le tripler apport religieux, intellectuel et politique » au XIe siècle.Ce concours marque un intérêt nouveau de l’Académie pour Cluny. Et dès décembre 1850, Fr. Cucherat est couronné par l’Académie de Mâcon pour son mémoire « Cluny au onzième siècle, son influence religieuse, intellectuelle et politique ». Ce texte est probablement publié en 1851. Le baron Isidore Taylor édite en 1863 le volume de ses « Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France » consacré à la Bourgogne, et illustré par l’architecte dessinateur Emile Sagot. Les dessins de celui-ci constituent une précieuse documentation sur Cluny. C’est le signal de nombreuses publications. En 1866, un éditeur de Mâcon publie une « Histoire de l’Abbaye de Cluny » par Louis-Henry Champly, notaire à Cluny âgé de 32 ans ; elle sera rééditée en 1878 et 1930. En 1868, c’est au tour d’une monographie de Cluny Par Pignot. Mais en ces années de reconquête catholique de la France post révolutionnaire,c’est à l’histoire de l’Ordre et de l’Abbaye, et à la somme considérable de ses chartes sauvegardées que l’on s’intéresse.

En effet, dès 1868, l’éditeur Auguste Bernard soumet au Comité des Travaux historiques son manuscrit sur le cartulaire de Cluny, travail qu’il avait entrepris en 1849. Devant l’ampleur du texte, le comité s’intéresse d’abord aux chartes antérieures à 987, et les publie en mai dans la collection des Documents inédits. Mais le 5 septembre, Auguste Bernard meurt, non sans avoir vu les premières épreuves du recueil. La source est d’importance, il faut l’exploiter. Le 1er février 1869, le Comité des Travaux historiques nomme par arrêté Alexandre Bruel (sorti en 1866 de l’Ecole des Chartes) pour prendre la succession d’Auguste Bernard. Anatole de Barthélémy l’assiste en tant que commissaire responsable. Le nouvel éditeur adopte pour règle de vérifier et compléter, en les collationnant de nouveau, toutes les copies de chartes faites par ou pour Auguste Bernard. Selon lui, « cela a permis d’améliorer notablement le texte d’un grand nombre d’actes et de relever des erreurs de lecture assez multipliées ». Mais l’intérêt pour une histoire plus générale persiste : en 1872, A. Penjon, professeur à la faculté de Lettres de Douai et ancien enseignant à l’Ecole de Cluny, publie une 1ère édition de « Cluny, la ville et l’abbaye ». Elle sera augmentée en 1884 de 28 dessins à la plume de P. Legrand, professeur de dessin à l’Ecole de Cluny.
L’immense travail de publication de l’imposante collection de chartes par Auguste Bernard, puis Alexandre Bruel, va se poursuivre de 1876 à 1903. Le tome I (802-954) est publié en 1876 ; le tome II (954-987) en 1880, et le tome III (988-1026) en 1884.

Cette même année, Léopold Delisle décrit et analyse le fonds de Cluny regroupé à la Bibliothèque nationale. Il publie ce travail sous le titre : « Inventaire des manuscrits de la Bibl.nat.fonds de Cluny ». En 1885, Elisée Reclus, géographe, accorde une place à Cluny dans sa « Nouvelle Géographie universelle ». En 1888, paraît le tome IV (1027-1090) du Recueil des Chartes de l’abbaye de Cluny. Le tome V (1091-1210) sort en 1894, le tome VI (1210-1300 en 1903. En novembre 1920, Alexandre Bruel, qui continuait malgré le manque de subsides à rédiger le tome VII (1300-fin du 18e), meurt avant d’avoir terminé sa tâche.
Elisée Reclus, auteur de la Géographie Universelle, par Nadar (non daté)
Le millénaire de Cluny, en 1910, va ouvrir une nouvelle période de publications connues de tous, dont le fameux « Cluni », ouvrage collectif accompagné de ses gravures, ou « Mon Vieux Cluny qui demeure » de Bruel. En 1913, Alfred Forest, Clunisois de cœur, esquisse une biographie du peintre Prud’hon, tentant d’attirer l’attention des habitants sur le peintre. Cette biographie contribuera probablement à l’installation du buste en bronze de l’artiste en 1923. Pierre Dameron, directeur de la Prat’s, rédige en 1926 « La vie d’une école ou les sentiments et impressions de son premier directeur ». Dans la collection Portrait de la France, Albert Thibaudet offre en 1928 son « Cluny ». L’année 1930 est riche : Léon Daclin, pharmacien à Cluny, membre de l’Académie de Mâcon, publie « Le Vieux Cluny –Echappée sur l’institution clunysienne », portant sur la fondation, un court profil de l’histoire de Cluny foyer de civilisation au Moyen-Age, son rôle intellectuel et social. C’est aussi l’année où le manuscrit de Benoît Dumolin est retrouvé par le comte Godefroy Leusse dans la bibliothèque de M. de Surigny, à Prissé.

provisoirement installé au-dessus de la fontaine de la place de la Nation
Effet de la publicité apportée par les festivités du Millénaire en 1910, de nouvelles fées vont se pencher sur Cluny. Outre la redécouverte de la grande église abbatiale, c’est principalement sur la mise en valeur de Cluny, d’un point de vue touristique et patrimonial, mais aussi très largement sur l’histoire de l’Ordre Clunisien que vont se multiplier les publications de l’entre-deux guerres et de la période contemporaine. A suivre …